Détail de la couverture du rapport de Pollinis, Terre Solidaire, Basic : "Pesticides, un modèle qui nous est cher"

Glyphosate : à perpétuité ?

Dix jours après la révélation du projet de règlement européen Omnibus prévoyant des autorisations permanentes et illimitées pour les pesticides, une étude mise en avant depuis vingt-cinq ans par les défendeurs du glyphosate et largement utilisée, malgré les accusations de fraude, pour justifier les décisions d'autorisation, a enfin été retirée par la revue...

Dix jours après la révélation du projet de règlement européen Omnibus prévoyant des autorisations permanentes et illimitées pour les pesticides, une étude mise en avant depuis vingt-cinq ans par les défendeurs du glyphosate et largement utilisée, malgré les accusations de fraude, pour justifier les décisions d’autorisation, a enfin été retirée par la revue qui l’avait publiée.

Image d’en-tête : détail de la couverture du rapport « Pesticides : un modèle qui nous est cher »
réalisé en 2021 par Basic pour le compte de Pollinis et du CCFD-Terre Solidaire.

Depuis sa commercialisation dans les années 70, des chercheurs indépendants et des associations écologistes demandent l’interdiction du glyphosate, l’herbicide le plus vendu au monde et principal composé du Roundup. En face, des études qui affirment que cet herbicide ne présente aucun risque grave pour la santé. C’est le cas de celle publiée en 2000 dans la revue Regulatory Toxicology and Pharmacology. Citée plus de 1 300 fois dans la littérature, elle a été utilisée par de nombreuses agences gouvernementales pour justifier leurs décisions (un an après la publication, l’Union européenne autorisait le pesticide pour 15 ans). Cette étude a été retirée le 28 novembre 2025 sur décision de la rédaction « afin de préserver l’intégrité scientifique de la revue ».

Les raisons exposées par Martin van den Berg, le corédacteur en chef, définitives, sont largement relayées par la presse mondiale : le « manque de transparence soulève de sérieuses questions d’éthique », certaines études sur la toxicité du glyphosate et le risque de cancer à long terme ayant été omises, il y a suspicion de la participation d’employés de Monsanto à la rédaction de l’article, non-divulgation d’avantages financiers perçus par les auteurs de la part de Monsanto…

Vingt-cinq ans, c’est long… Dès 2002, vingt chercheurs avaient dénoncé dans une lettre ouverte les conflits d’intérêts de signataires de l’étude. Pendant quelques années, les opposants français au glyphosate ont pu croire que les autorités nationales commençaient à les entendre : en 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) classe le glyphosate comme perturbateur endocrinien possible. En 2012, l’équipe du Professeur Gilles-Eric Séralini publie une étude au cours de laquelle des rats exposés à de faibles doses de Roundup dans l’eau qu’ils buvaient ont développé des tumeurs cancéreuses plus nombreuses et plus grosses que le groupe des rats témoins. En 2014 la loi Labbé prévoyait l’interdiction totale du glyphosate pour les particuliers en 2019. Restait le gros morceau, les utilisations agricoles.

Avec le classement du glyphosate comme « cancérogène probable » en 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé, puis la publication par la justice américaine en 2017 de documents internes, les « Monsanto pappers« , révélant que des employés de la firme Monsanto (racheté par Bayer) avaient participé à l’étude incriminée, l’affaire semblait entendue.

Les jours du Roundup étaient comptés. La commission européenne elle-même semblait vaciller en ne renouvelant la licence du désherbant que pour cinq ans, soit dix ans de moins que la durée habituellement accordée à un produit phytosanitaire.C’était déjà ça et ça n’empêchait pas la France de montrer l’exemple. La promesse d’Emmanuel Macron la même année d’en finir avec cet herbicide en France dans les trois ans paraissait crédible.

Il n’aura fallu que six mois pour déchanter : en 2018, l’Assemblée nationale (à majorité macroniste) rejette l’inscription de l’objectif d’interdiction du glyphosate dans la loi Alimentation. En janvier 2019, Macron déclare que finalement, ce n’est « pas faisable ». En décembre 2020, à l’approche de la fin du délai de trois ans auquel il s’était engagé, il confirme le reniement et parle d’un « échec collectif ». À la fin de son premier mandat, en 2022, il déclare carrément regretter cette promesse et renvoie la responsabilité à l’Union européenne : « Ça se gère au niveau européen toutes ces choses-là puisqu’on est un marché unique ».

Au niveau européen ? On attendait donc le vote négatif de la France en 2022 sur le renouvellement de l’autorisation européenne. Elle s’est abstenue. En 2023, la Commission européenne, « sur la base d’évaluations approfondies » (sans rire ?), a renouvelé une fois de plus pour 10 ans l’autorisation du glyphosate, toujours avec l’abstention de la France.

Deux ans plus tard, la Commission veut tout lâcher à Bayer-Monsanto et à l’agrochimie. Le 18 novembre, le Pesticide Action Network (PAN) a révélé le projet de règlement Omnibus sur l’alimentation humaine et animale, présenté au Conseil le 4, qui prévoit de déréglementer les pesticides chimiques en instaurant des autorisations permanentes et illimitées au prétexte, comme d’habitude, de simplification.

Pour être sûr de ne plus s’embêter à justifier des choix aussi douteux que les études sur lesquelles ils s’appuient (c’est plus simple), le projet prévoit de supprimer l’obligation pour les États membres de prendre en compte les données scientifiques indépendantes les plus récentes lors des évaluations nationales des produits phytosanitaires (lire l’analyse de Générations Futures publiée le 9 décembre 2025). Rien de tel que la tradition.

Le projet de règlement après consultations sera présentée par la Commission le 16 décembre.

Auteur/autrice

  • Artiste, paysanne, engagée pour la défense de la ruralité, de la forêt et pour la 6e République.